Si, un jour, je suis célèbre pour une des phrases que j'ai dites, ce sera peut-être pour: "Les limites du bon goût sont là pour être dépassées."
Pourtant, en 2010, il semblerait que de briser ces tabous puisse mener à des problèmes judiciaires, voire à la prison! Si n'en avez pas encore entendu parler, je vous réfère à cet article, qui décrit le cas de RémyFX, un maquilleur en effets spéciaux gore qui subira bientôt un procès parce qu'on juge son oeuvre dangereuse pour la société. Plus de détails sur son cas ici. Ce qui m'amène à poser une grande question...
Est-ce que l'horreur a une limite? Est-ce que le bon goût a une valeur si grande qu'on ne peut se permettre de le piétiner à pieds joints?
Pour vous donner ma réponse personnelle, car il s'agit bien d'une perception plutôt que de fait mesurable, je dois commencer en vous parlant de ma vision de l'horreur.
Beaucoup de raisons expliquent mon amour de l'horreur. Je pourrais me psychanalyser pendant des heures pour vous pondre des pages et des pages d'analyse de ma relation avec ce genre. Au lieu de ça, je vais plutôt paraphraser Douglas E. Winter dans son introduction à l'anthologie d'horreur classique Treize histoires diaboliques (traduction de Prime Evil) en disant que l'horreur n'est pas seulement un genre littéraire et cinématographique, mais une émotion. Et c'est d'émotions dont je vous parlerai ici.
Quand je consomme de la littérature ou du cinéma d'horreur, je cherche à m'amuser, à avoir peur ou à réfléchir sur la moralité et la nature humaine. Les deux premières possibilités sont facilement acceptées par la société. Qui se plaindra de films d'horreur humoristique comme L'armée des ténèbres, Slither ou Zombieland? Qui accusera des romans comme Shining, de Stephen King, ou Ghost Story, de Peter Straub, de corrompre les moeurs?
Mais quand on s'attaque à l'horreur qui a pour objectif de déranger et de faire réfléchir en montrant des actions horribles et dérangeantes, il faut s'attendre à être déstabilisé. Des auteurs comme Jack Ketchum, Wrath James White ou, plus près de chez nous, Patrick Sénécal présentent parfois des scènes qui sortent largement des cadres acceptés de la déchéance humaine. De même pour les courts-métrages créés par RémyFX, qui présentent l'univers d'un tueur psychopathe particulièrement sordide. Est-ce qu'une oeuvre créée pour déranger peut vraiment influencer les moeurs alors que l'impact qu'elle aura sur presque tout le monde sera du dégoût, du malaise et une source de réflexion sur le pire de la nature humaine? Une mauvaise interprétation de l'oeuvre reste possible, mais je crois que quelqu'un d'influençable et dérangé trouvera de toute façon des sources pour l'influencer, qu'elles soient mainstream ou underground, de la fiction ou des bulletins de nouvelles. Cela dit, on ne peut pas demander des cartes de santé mentale à tous les gens qui aiment l'horreur. On ne devrait pas non plus museler les créateurs dont l'imagination et les talents les mènent dans des zones dérangeantes.
Ainsi, toute cette affaire des limites de l'horreur reste une question de perception. Au final, ce que je veux exprimer, c'est que l'horreur extrême n'a pas pour objectif d'influencer les gens, mais plutôt de les faire réfléchir sur la nature humaine et sur notre propre moralité. Elle existe pour attiser l'étincelle de la réflexion, et pour ça il faut déranger le spectateur. Dans le cas de RémyFX, on dirait que ça marche...
Mon arrêt de travail m'empêche de suivre cette affaire d'aussi près que je le ferais normalement, mais ce que je retiens est qu'on reproche surtout à RémyFX de ne pas avoir mis d'avertissement "contenu réservé aux adultes" ou "contenu pouvant ne pas correspondre à tous les publics" sur son site.
RépondreSupprimer... et on se demande aussi si ses films de fiction sont réellement de la fiction où s'il ne s'agit pas de snuff. C'est un hommage à son talent s'il s'agit bel et bien de fiction (et la preuve ne devrait pas être trop dure à faire : autres prises des scènes, comédiens qui viennent témoigner, etc...)
La question légale qui se pose ici concerne l'article 163 du Code criminel, lequel interdit «toute publication dont une caractéristique dominante est l’exploitation indue des choses sexuelles, ou de choses sexuelles et de l’un ou plusieurs des sujets suivants, savoir : le crime, l’horreur, la cruauté et la violence». Cet article est en opposition avec l'article 2 de la Charte canadienne, lequel garantit un droit constitutionnel à la liberté d'expression, laquelle inclut l'expression artistique. Cependant, l'article 1 de la même Charte prévoit que l'on puisse déroger aux droits garantis «dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique». La Cour suprême, notamment dans R. c. Butler (1992), a déjà statué que l'article 163 se justifiait par l'article 1 de la Charte et que tout se jouait sur l'interprétation des termes «exploitation indue», au cas par cas, sous le critère de la «norme sociale de tolérance», qui vise ce que les Canadiens n'accepteraient pas que les autres Canadiens voient. Il est donc à noter que cette interprétation est susceptible de changement dans le temps, puisque ce qui était considéré «indu» par la société il y a 18 ans ne le serait plus nécessairement aujourd'hui (et vice versa).
RépondreSupprimerCe qui est rassurant, c'est que les tribunaux font cependant généralement preuve de grande tolérance et de beaucoup de respect de la liberté d'expression avant de conclure qu'il y a eu «exploitation indue», de sorte que je garde espoir que RémyFX s'en sorte, ou alors ça pourrait se jouer, comme Gen l'a dit, sur le fait que ses vidéos étaient disponibles sans restriction ni avertissement sur son site. À suivre...
Merci Éric pour cette analyse de la situation!
RépondreSupprimerTrès intriguant toutes ces questions de loi et aussi informant et pertinent quand on ne s'y connaît pas beaucoup sur la chose. J'espère que ça va aider d'autres a éclairer leurs incompréhension de la situation.
RépondreSupprimerJ'ai d'ailleurs écrit un article sur le sujet, sur mon blogue, donnant mes impressions et mes idées d'explication du phénomène.
On baigne vraiment dans le noir jusqu'au 1er novembre (à moins que ça traîne encore) et la décision qui sera donnée va soit mettre à l'épreuve les artisans de l'horreur et leurs causer de nombreux problèmes, soit que ça va prendre une tournure moins novice que ce qu'on aurait cru.