L'échelle lovecraftienne du temps qui s'étire

Vendredi, 13:00. Je m'en vais chercher un café au centre d'achat en face de l'hôpital, du black métal dans les oreilles (Scenes from Hell, de Sigh, pour ceux qui voudraient le savoir). Une petite pause entre deux analyses, histoire de voir le soleil au moins une fois dans la journée. J'ai profité de mon dîner pour écrire un peu, et là je prends un peu d'air. Mon texte a avancé, mais j'ai l'impression d'être dans un bout plate. En fait, j'ai l'impression d'être dans un bout plate dans tous mes textes. Au moins, j'ai pu faire des jokes sur les urinoirs... mais ça manque d'horreur, de sexe, de frémissement, d'originalité, d'humanité. Du moins, il me semble.

Je fais une escale dans une librairie. Peu de romans d'horreur sur les tablettes. De toute façon, j'en ai déjà trop sur les miennes. Tenté par Bentley Little et Sarah Langan, mais je contrôle mes ardeurs. Je devrais terminer quelques livres avant d'en acheter d'autres que je n'ai pas l'intention de lire tout de suite.

Et maintenant mon café me brule les doigts. Je marche vers le labo pour poursuivre mes analyses de génomes. Je me demande bien ce qui pourrait me donner un boost dans mon écriture, pis dans mes analyses de génome aussi. Je me demande pourquoi tous les blogueurs/écrivailleurs étalent périodiquement leurs moments de déprime. Je me dis que j'aurais besoin d'encouragements, de commentaires enrichissants sur mes manuscrits, de feedback sur ce qui n'est plus entre mes mains. Et là je réalise ce qui est si déprimant dans l'écriture.

Se lasser de l'acte d'écrire en soit n'est pas le problème. Pas plus que le manque d'inspiration. C'est que les encouragements sont tellement espacés. Tellement de temps entre le début d'un projet et un premier jet complet. Tellement de temps entre la fin d'un manuscrit et les commentaires de lecteurs. Tellement de temps à retravailler un manuscrit. Tellement de temps entre la soumission à un éditeur et la réponse. Tellement de temps entre la réponse et ce qui vient après. C'est presque une échelle lovecraftienne de temps qui nous pourrit l'âme en attentes qui se métamorphosent en une procrastination indicible. La patience, c'est l'outil essentiel de celui qui écrit.

Il faut pouvoir séparer le temps sur deux échelles. Celui de la vie, la vraie, de laquelle on veut profiter au maximum. Et celui de l'écriture, qui s'étire et qui s'enroule jusqu'à nous étrangler.

Quand j'arrive à remettre le tout sur l'échelle temporelle de ce monde parallèle, je respire mieux. Quand je me rappelle que j'écris parce que j'aime ça, c'est ce qui me soulage le plus. J'aime l'horreur. J'espère vous terrifier, vous déranger, vous inquiéter, vous meurtrir l'âme. Mais nous devrons tous être patients, très patients.

6 commentaires:

  1. Ouille, c'est un cas de cheerleaders avec pompoms...

    À défaut, t'as moi qui te dit : Lâche pas!

    C'est vrai que le monde de l'édition semble évoluer sur une ligne de temps parrallèle...

    Le truc, ça reste d'oublier au plus vite les soumissions envoyées... et de parler d'un projet comme si on venait de le débuter une fois qu'on en a écrit le trois quart! ;)

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  2. Ah oui? J'ai droit à des cheerleaders! Cool!

    Ben non, chu pas si déprimé! Je voulais surtout parler de ces échelles de temps qui sont si différentes. Quand je suis sorti acheter ce fatidique café, j'étais plus méditatif que déprimé...

    Et pour le temps, c'est pareil en science, l'échelle de temps est souvent lente par rapport à la vie (même si ça dépend des projets), sauf qu'on a plus souvent des tappes dans le dos (quand une expérience fonctionne ou qu'on a une microépiphanie.

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  3. ;) J'aime mieux encourager trop que pas assez! ;p

    J'ai dû faire de la projection! lol! C'est tellement dur de faire comprendre aux gens que c'est normal que ça prenne six mois à une revue pour nous répondre. Moi en tout cas, ça m'a découragée longtemps.

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  4. En effet! On a le temps "réel" qui galope et nous entraîne dans sa course folle, fait de concret, de ici et de maintenant, et on a le temps de création, d'écriture et d'attente qui semble englué...

    Tape dans le dos, clin d'oeil complice et on reprend du collier!

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  5. Imagine quand le premier jet se fait couvrir de rouge, que le manuscrit se fait refuser par les éditeurs, que la critique massacre le livre et que tu aimes toujours autant écrire!

    Est-ce qu'on fait quelque chose pour les autres ou pour soi-même? Est-ce qu'on fait quelque chose parce qu'on veut plaire aux autres ou pour répondre à un impératif, une pulsion, une passion.

    Quand même, que ce soit pour écrire un article scientifique ou une nouvelle d'horreur, le résultat est le même. La plupart du temps, une fois que c'est publié on est tellement écoeuré du contenu qu'on en est à peine fier.

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  6. Parle pour toi, espèce de vieux scientifique aigri!

    ...

    N'empêche que c'est pas faux...

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